La chanson 4 Kampé du chanteur franco-haïtien Joé Dwèt Filé bouleverse les codes et transcende les frontières. Véritable raz-de-marée musical mêlant konpa urbain, RnB et soul, ce tube planétaire révèle la vitalité de la culture haïtienne diasporique. Mais derrière le succès, une querelle juridique éclate autour de l’emprunt supposé à la chanson culte Je Vais de Rouzier. Quand le hit devient une affaire de mémoire, de droit et d’identité.



Haïti aux oreilles du monde. Depuis sa sortie, 4 Kampé du chanteur franco-haïtien Joé Dwèt Filé ne cesse de faire vibrer les cœurs et de remplir les pistes de danse. Ce morceau, cocktail enivrant de konpa moderne, RnB français et groove caribéen, incarne un tournant majeur pour la musique haïtienne sur la scène internationale. Le refrain « Chérie nou sou sa kampé » est désormais gravé dans la mémoire collective, symbole d'une jeunesse créole qui assume pleinement son identité et ses aspirations.

Avec une production léchée, un flow sensuel et des punchlines tranchantes comme « La carte est black, disons Alléluia », l'artiste a su fédérer une communauté diasporique avide de représentations puissantes et authentiques. Résultat : plus de 79 millions de vues sur YouTube, des millions d’écoutes sur les plateformes, et une présence incontournable sur TikTok, Instagram et dans les clubs du monde entier.

Couronné "Best Artist UE" aux TRACE Awards 2025 et nommé aux BET Awards dans la catégorie Best International Artist, Joé Dwèt Filé devient un ambassadeur musical de la nouvelle esthétique créole mondiale. Il figure également parmi les favoris des Flammes 2025, avec quatre nominations qui confirment son statut de poids lourd de la scène urbaine francophone.

Mais derrière l’euphorie du succès, une controverse culturelle et juridique émerge.

Le morceau, qui semble puiser dans la richesse du patrimoine musical haïtien, fait l’objet d’une plainte pour violation de droits d’auteur. Au centre de cette affaire : Je Vais, chanson écrite en 2002 par Rouzier, et interprétée notamment par Emeline Michel et Beethova Obas. Pour les héritiers et les puristes, 4 Kampé ne serait pas une simple inspiration, mais une réappropriation non autorisée d’un morceau symbolique, souvent joué lors d’événements de mémoire collective.

Bien que Je Vais n’ait comptabilisé qu’environ 459 000 vues en dix ans, sa valeur symbolique et patrimoniale est immense. Elle représente une mémoire musicale, une parole générationnelle. La transformer en hit global sans reconnaissance explicite soulève des questions fondamentales sur le droit moral, la propriété culturelle et la transmission des œuvres haïtiennes.

Dans la plainte déposée aux États-Unis, Rouzier et ses représentants exigent réparation financière, reconnaissance des droits, et remboursement des frais juridiques. Fait étonnant : le comédien Tonton Bicha est également cité pour avoir repris publiquement des extraits de Je Vais lors d’un concert à Brooklyn en novembre 2024, sans autorisation préalable.

Cette affaire, loin d’être anecdotique, révèle un enjeu central : comment concilier popularité numérique et préservation du patrimoine ? Comment honorer les racines tout en réinventant l’héritage dans un contexte globalisé ? Loin d'opposer passé et présent, cette tension met en lumière l’urgence de créer des ponts entre générations d’artistes, de structurer les institutions de droits culturels en Haïti, et d’éduquer les créateurs à la gestion des droits d’auteur dans un écosystème mondialisé.

Plus qu’un simple tube, 4 Kampé devient alors un miroir des tensions créatives qui traversent la musique haïtienne contemporaine. Elle nous rappelle que le succès mondial ne peut se bâtir sans mémoire locale, et que toute innovation s’enracine dans un passé à respecter.

Écoutez la musique 4 Kampé
https://youtu.be/Srvt_6up-0o?si=B4Pyur1Dgz9lF9B7