Guitariste virtuose, voix chaude et poète en musique, Boulo Valcourt fut bien plus qu’un artiste : il fut un pont entre les générations, entre Haïti et le monde, entre le compas, le jazz, le troubadour et l’émotion pure. Son départ en novembre 2017 laisse un silence chargé de mémoire, mais sa musique continue de chanter la vérité du peuple haïtien.



Il est des artistes que le temps ne peut effacer. Boulo Valcourt, né Henriot Valcourt le 12 février 1946 au Cap-Haïtien, fait partie de cette trempe rare dont l’âme musicale semble tissée dans la trame même d’un peuple. À 16 ans, il caresse ses premières cordes ; à 17 ans, il compose déjà pour Les Copains, comme si la guitare lui avait été confiée bien avant sa naissance.

Mais Boulo n’était pas qu’un jeune prodige. Il était un gardien de la mémoire, un conteur de l’intime, un passeur de sens, à la fois enraciné et cosmopolite. On le retrouve au cœur de plusieurs formations mythiques, telles que Ibo Combo – qu’il fonde à New York – puis le Caribbean Sextet, groupe dans lequel il imprime sa marque indélébile à la croisée du compas, du jazz, et des traditions haïtiennes. Son style ? Un raffinement musical rare, nourri d’une rigueur instrumentale et d’un feu émotionnel maîtrisé.

“Tèt Bòbèch”. Ce titre, devenu un classique, résonne encore comme un cri doux-amer, à la fois satire sociale, chronique politique et poésie sonore. Certains y entendent l’écho de la chute du régime Duvalier en 1986, d’autres simplement la voix du peuple qui se moque de lui-même avec la lucidité de ceux qui ont trop pleuré. Mais tous y reconnaissent la patte Valcourt : cette manière unique d'embrasser la douleur avec grâce, de chanter la dignité dans l’absurde.

Son interprétation du poème Lapèsonn, écrit par Syto Cavé, marque un sommet. Ce morceau devient sa chanson fétiche, son sceau d’artiste. Il y sculpte l’émotion, taille la mélodie dans la pierre vive du verbe, jusqu’à en faire un chant rituel, presque sacré, pour ceux qui ont aimé, perdu, survécu.

Son parcours est une fresque. Une parenthèse d’études en électronique et en aviation au Canada. Un retour en musique comme une évidence. Des scènes enflammées à Montréal, Miami, New York, une reconnaissance au festival international des troubadours de Curaçao, des collaborations cubaines dans le projet Haitiando... Il était partout où l’âme haïtienne avait besoin de se dire autrement. Il chantait Haïti, mais aussi le monde à travers Haïti.

En novembre 2017, Boulo Valcourt s’est éteint à New York, à l’âge de 71 ans. Mais les étoiles ne meurent pas : elles changent simplement de forme pour mieux nous éclairer. Aujourd’hui encore, chaque arpège de guitare, chaque mélodie nostalgique, chaque mot créole qui danse dans le vent nous ramène à lui.

Boulo Valcourt, comme Ti Paris, Ti Manno, Azor, Jobim, Hendrix ou Miles Davis, appartient à cette constellation d’artistes dont le chant devient horizon, mémoire et promesse. Son héritage, c’est un appel à ne jamais oublier que la musique haïtienne est une langue vivante, un combat, une tendresse, un refus de disparaître.