Né en 1955 sous les doigts visionnaires de Nemours Jean‑Baptiste, le Compas Direct fête aujourd’hui ses 70 ans. Plus qu’un genre musical, il demeure le pouls même d’Haïti, un passeport sonore qui, de Port‑au‑Prince à Tokyo, porte la beauté créole vers des horizons toujours plus vastes.



Lorsque les premières notes de guitare électrique et de tambours se sont mêlées, un soir 25 juillet 1955 dans un dancing de Pétion‑Ville, personne ne soupçonnait que venait de naître l’un des langages rythmiques les plus contagieux du XXᵉ siècle : le Compas Direct. Imaginé par Nemours Jean‑Baptiste et ses compagnons, ce battement nouveau syncrétisait les cadences vaudou, les romanzas cubaines et le chic des big bands antillais dans une pulsation binaire cristalline. Soixante‑dix ans plus tard, cette cadence est devenue l’ADN musical de la Caraïbe francophone, la carte de visite la plus joyeuse de la culture haïtienne.

Du bouleversant Ti Carole au magistral Cumberlann en passant par les tubes planétaires de Tabou Combo, Magnum Band,Tropicana, Septentrionale , DP-Express, Système Band, T-Vice ou Zafèm, le Compas a exploré les couloirs du temps sans jamais perdre sa sueur ni sa lumière. À chaque époque, il s’est réinventé : cuivres en fanfare dans les sixties, claviers disco dans les années 80, riffs électriques ultrarapides au tournant du millénaire, puis fusion afro‑zouk ou RnB chez la génération d’aujourd’hui. Cette incroyable plasticité explique sa longévité : il épouse les révolutions technologiques sans renier ses tambours sacrés.

Mais le Compas Direct est plus qu’un style ; c’est un art de vivre, un code social, une manière de dire nou la toujou (« nous sommes toujours là »). Il rassemble la diaspora dans les bals de Brooklyn comme dans les festivals d’Abidjan, réconcilie les différences sociales sous le toit d’un même groove et rappelle à chaque pas de danse que l’âme haïtienne, malgré les tempêtes, demeure indomptable. Sur une scène ou dans une rue de Carnaval, le rythme impose un sourire, une transe douce, un instant de fraternité.

À l’heure où l’industrie mondiale cherche sans cesse de nouveaux sons, le Compas se révèle un trésor prêt à conquérir d’autres continents. Des beatmakers brésiliens samplent déjà ses lignes de basse oscillantes ; des DJ européens mixent ses conga breaks dans les clubs berlinois ; des stars afropop invitent des sections cuivres haïtiennes sur leurs singles. Cette circulation confirme une évidence : le Compas Direct est un patrimoine vivant, à la fois profondément local et irrépressiblement cosmopolite.

Soixante-dix ansans après son cri de naissance, la cadence de Nemours continue de battre – dans les studios high‑tech de Miami comme dans les lakou vaudou de Léogâne – rappelant que la plus belle façon de vendre la beauté d’Haïti au monde reste de la jouer, la chanter, la danser. Tant qu’un tambour répondra à un saxophone, tant qu’un chœur créole montera sous les néons d’une nuit tropicale, le Compas Direct prouvera que la résilience se conjugue aussi au présent de la fête.