En signant la première loi d’envergure sur les stablecoins, le président Trump scelle l’entrée des États-Unis dans l’ère de la monnaie numérique régulée. Une victoire politique, économique… et personnelle.



Washington vient de vivre un moment charnière de l’histoire financière américaine. Le président Donald Trump a promulgué ce vendredi le GENIUS Act, une législation pionnière qui encadre les stablecoins et pose les bases juridiques du futur écosystème crypto des États-Unis. Derrière l’acronyme flatteur — Guiding and Establishing National Innovation for U.S. Stablecoins — se cache une ambition affirmée : faire de la blockchain le nouveau pilier du système monétaire mondial, tout en garantissant la suprématie du dollar dans l’univers numérique.

Le projet, salué par les grands noms de la tech financière tels que Tether, Robinhood et Gemini, crée un cadre clair pour les banques, coopératives de crédit et entreprises non financières souhaitant émettre des stablecoins adossés au dollar. Ces jetons numériques, conçus pour conserver une valeur stable, permettent des paiements instantanés, moins chers et plus accessibles, en particulier dans les secteurs sous-bancarisés.

Le GENIUS Act consacre donc trois principes clés : réglementation claire, pour éviter les zones grises juridiques, protection des consommateurs, grâce à une couverture 1:1 en dollars et bons du Trésor, ouverture à l’innovation, en permettant au secteur privé de piloter la création monétaire numérique

Ce texte marque la première grande victoire législative crypto de l’ère Trump, dans une semaine que les républicains ont surnommée “Crypto Week”. Deux autres lois ont d’ailleurs été votées : le Clarity Act, qui encadre les actifs numériques au-delà des stablecoins, et le Anti-CBDC Surveillance State Act, interdisant à la Réserve fédérale d’émettre une monnaie numérique directement pour les citoyens — un geste fort contre les monnaies d’État perçues comme intrusives.

Derrière la scène politique, c’est toute une stratégie géoéconomique qui se joue. Le président américain entend offrir aux États-Unis une avance décisive dans la guerre monétaire mondiale, en contrant les projets de monnaies numériques de banques centrales chinoise et européenne. « Cela pourrait être la plus grande révolution financière depuis Internet, » a-t-il déclaré, n’hésitant pas à vanter la loi comme “nommée d’après lui”.

Mais le GENIUS Act est aussi un acte de pouvoir. Confronté à une fronde interne de douze élus conservateurs, Trump a mené une opération de persuasion téléphonique digne d’un marchandage d’antan. La loi est passée, renforçant son autorité et consolidant son image de “deal maker”. Le rôle actif du vice-président JD Vance et du “crypto-czar” David Sacks témoigne également de l’alignement stratégique entre la Maison-Blanche et la Silicon Valley pro-blockchain.

Certains y voient une concentration dangereuse des intérêts publics et privés. La présence remarquée des jumeaux Winklevoss, investisseurs crypto et soutiens financiers de la campagne Trump, alimente les critiques sur d’éventuels conflits d’intérêts — d’autant que les actifs numériques détenus par la famille Trump ont récemment grimpé, selon les données publiques. Le président se défend en affirmant que ses avoirs sont placés sous gestion familiale.

Au-delà des polémiques, l’adoption du GENIUS Act pourrait bien redistribuer les cartes de la finance mondiale. En rendant les stablecoins compatibles avec le système bancaire traditionnel, les États-Unis envoient un signal puissant à Wall Street, à la Réserve fédérale… et au reste du monde. Le dollar numérique, émis de manière décentralisée, pourrait devenir un outil de politique monétaire douce, un canal de paiements transfrontaliers agile, et un rempart contre l’inflation importée.

Mais le pari reste risqué. La volatilité du marché crypto, les cyberattaques potentielles et les risques systémiques posent de sérieux défis. Tout dépendra désormais de l’application rigoureuse de cette loi, de la supervision des émetteurs de stablecoins… et de la capacité de l’écosystème à inspirer confiance au grand public.

En attendant, Trump jubile : il vient d’imprimer sa marque — littéralement — sur la prochaine grande révolution monétaire. Le GENIUS Act n’est pas qu’un texte juridique, c’est une déclaration d’intention technopolitique. À un an des élections, le président parie sur la blockchain pour réécrire l’histoire… et sa fortune.