De Lumane Casimir à SIROMIEL, en passant par Martha Jean-Claude, Toto Bissainthe et Emeline Michel, les femmes haïtiennes ont tracé leur voie dans un monde musical longtemps dominé par les hommes. À travers leur voix, leur courage et leur créativité, elles ont transformé l’histoire de la musique haïtienne en y inscrivant la marque indélébile de leur présence et de leur lutte.
Dans les années 1940 et 1950, alors que l’espace musical haïtien est largement masculinisé, des artistes visionnaires comme Lumane Casimir, Martha Jean-Claude, Toto Bissainthe et Emerante de Pradines brisent les barrières du silence. Leurs voix puissantes et engagées ouvrent une brèche pour toutes celles qui suivront. À travers les rythmes traditionnels, les chants de révolte, la poésie et la spiritualité, elles imposent leur art et leur parole.
Mais entre les années 1970 et 1985, la présence féminine dans la musique haïtienne se fait plus discrète. Mis à part quelques figures du gospel comme Emma Achille, ou des duos emblématiques comme Claudette et TiPierre, Maud et TiRoi, ou encore Yole et Ansy, les femmes peinent à occuper le devant de la scène.
À partir de 1986, un véritable tournant s’opère. La scène musicale haïtienne connaît une renaissance féminine avec l’émergence de solistes puissantes, engagées et talentueuses : Fédia Laguerre, Carole Demesmin (connue pour le titre Mawoule), Farah Juste, Barbara Guillaume, Emeline Michel, Myriam Dorismé, TiCorn, Danielle Thermidor, Marie Michèle Saurel, ou encore Sabine Ann. Elles explorent des genres variés, du konpa au jazz créole, en passant par la musique racine.
Anna Pierre, dans les années 1990-91, marque les esprits avec sa chanson Mete sik sou bonbon m, dans laquelle elle verbalise haut et fort ce que les femmes murmuraient jusque-là entre elles. Une audace qui fait d’elle une figure incontournable du féminisme populaire haïtien.
Les femmes ne se contentent plus d’être solistes. Elles forment leurs propres groupes. Le groupe RISKÉ, 100% féminin, voit le jour dans les années 1990 et aborde des thématiques sociales, intimes, et politiques avec liberté et créativité. Ensuite viennent des formations comme ARTIZ, puis SIROMIEL, qui perpétuent cet élan collectif et marquent l’industrie musicale haïtienne contemporaine (HMI).
Il ne faut pas oublier le groupe Top Girls, né en 1970, premier groupe de konpa intégralement féminin, avec des instrumentistes et chanteuses qui prouvent que la virtuosité musicale n’a pas de genre.
Certaines femmes marquent aussi leur époque au sein de groupes mixtes. On pense à Maguy Jean-Louis et Mimose Beaubrun dans Boukman Eksperyans, où elles donnent une dimension spirituelle et engagée à la musique racine. Dans le groupe Zen, Josie et Maggy ajoutent une touche féminine dans les harmonies vocales et les performances chorégraphiées.
La fin des années 90 voit apparaître de nouvelles artistes comme Chantal Drice, Yonee Cherenfant (avec son album Kaskèt Prélude), ou Dionne Lamothe. Ces femmes productrices, compositrices, interprètes ou instrumentistes témoignent d’une prise de pouvoir progressive des femmes dans l’industrie musicale.
Aujourd’hui encore, l’héritage des pionnières continue de vibrer à travers chaque note jouée ou chantée par une femme haïtienne. De plus en plus d’artistes féminines revendiquent leur identité, produisent leur musique, s’associent, innovent et transforment profondément le paysage sonore haïtien.
Les femmes haïtiennes ont fait bien plus que chanter : elles ont transformé la musique en outil de libération, de prise de parole et de transformation sociale. Leur parcours inspire non seulement la jeunesse haïtienne, mais aussi toute une diaspora qui cherche à se reconnecter à ses racines à travers une voix féminine forte, engagée et libre.
©️ Nekita Lamour
Photo : Siromiel Music
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