Alors que la décentralisation devait représenter une réponse structurante aux crises récurrentes du pays, elle demeure prisonnière d’un système centralisé, opaque et paralysant. Décryptage des obstacles institutionnels, politiques et financiers qui empêchent l’émergence de véritables collectivités territoriales autonomes.
Depuis la promulgation de la Constitution haïtienne de 1987, la décentralisation est inscrite comme pilier fondamental de l’organisation de l’État. Pourtant, plus de trois décennies plus tard, le pays reste englué dans une gouvernance ultra-centralisée, qui concentre à Port-au-Prince la quasi-totalité des décisions et des ressources. Les promesses d’autonomie administrative, financière et politique faites aux collectivités territoriales demeurent lettres mortes. Pourquoi un tel échec ?
Le premier frein au processus de décentralisation est d’ordre politico-institutionnel. L’absence de volonté réelle de la part des élites politiques à transférer le pouvoir vers les communes traduit une méfiance, voire une peur, face à une gouvernance territoriale autonome. Le centralisme reste un outil de contrôle électoral, d’accès aux ressources publiques et de reproduction des rapports clientélistes. Dans les faits, les maires, CASEC et autres élus locaux sont souvent transformés en courroies de transmission du pouvoir central au lieu d’être les moteurs de développement local.
Sur le plan juridique et administratif, les lois organiques sur les collectivités territoriales peinent à être appliquées. La confusion entre tutelle administrative et contrôle de légalité permet au ministère de l’Intérieur de s’ingérer dans la gestion locale à tout moment. L’absence d’un cadre normatif clair et contraignant perpétue la dépendance des entités locales à un pouvoir central qui distribue les fonds de manière opaque et discrétionnaire.
Le blocage financier constitue un autre obstacle majeur. Moins de 5 % du budget national est alloué aux collectivités territoriales, ce qui rend leur autonomie purement théorique. Faute de dotations suffisantes, de fiscalité locale efficace et de mécanismes transparents de péréquation, les mairies ne peuvent répondre aux besoins de base des citoyens. Résultat : une gouvernance territoriale fantôme, sans services publics, sans infrastructures, sans développement.
Par ailleurs, l’absence de données territoriales fiables empêche toute planification rationnelle de l’aménagement du territoire. Les rares recensements sont obsolètes, les cartes cadastrales inexistantes et les systèmes d’information géographique (SIG) embryonnaires. Une telle opacité favorise la gabegie foncière, l’urbanisation sauvage et les conflits intercommunaux.
Enfin, la décentralisation est torpillée par une crise de confiance entre les citoyens et leurs institutions locales. Accusés de corruption, de népotisme ou d’inefficacité, les élus locaux peinent à incarner une alternative crédible à l’État central défaillant. Sans revalorisation du rôle des communes, sans formation des agents territoriaux, et sans implication réelle de la société civile dans la gouvernance locale, la décentralisation restera une illusion.
Haïti ne pourra relever ses défis de développement, de résilience et de stabilité démocratique sans un nouveau pacte territorial, basé sur la subsidiarité, la justice spatiale et la participation citoyenne. La recentralisation rampante à laquelle on assiste actuellement est une impasse historique. Il est temps de redonner aux territoires le pouvoir d’agir, de planifier, d’investir, et surtout, de décider pour eux-mêmes.
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