Le président du Conseil présidentiel de transition, Fritz Alphonse Jean, a confirmé l’engagement d’une entreprise de sécurité privée étrangère pour faire face au chaos sécuritaire. Une décision controversée dans un pays gangrené par la violence et fragilisé par l’absence d’institutions démocratiques.



Lors d’une rencontre avec la presse haïtienne le 20 juin, Fritz Alphonse Jean, président du Conseil présidentiel de transition (CPT), a reconnu que les autorités haïtiennes ont fait appel à une société de sécurité privée étrangère afin de répondre à l’effondrement de l’ordre public. Dans un pays où les gangs armés contrôlent de vastes portions du territoire, cette annonce, bien que prévisible pour certains, soulève une profonde inquiétude au sein de la société civile.

Depuis l’assassinat du président Jovenel Moïse en juillet 2021, Haïti vit sans gouvernement élu ni Parlement fonctionnel. Le vide institutionnel a laissé le champ libre à une montée spectaculaire de la violence, notamment dans la capitale Port-au-Prince, où les groupes armés imposent leur loi et défient ouvertement les forces de l’ordre. Le Conseil présidentiel de transition, en quête de solutions d'urgence, a ainsi opté pour l'externalisation de la sécurité, un choix qui divise.

Sans révéler le nom de la société concernée ni les termes du contrat, Fritz Alphonse Jean a écarté l’hypothèse d’un partenariat avec Blackwater, la célèbre société militaire privée américaine, autrefois impliquée dans des opérations controversées en Irak. Mais ce silence sur l’identité de l’entreprise et le flou autour de son mandat opérationnel alimentent la suspicion.

Du côté de la société civile, les réactions sont vives. Le coordonnateur général de l’Ordre des défenseurs des droits humains (ORDEDH), cité par RFI, a mis en garde contre « une solution à double tranchant », évoquant le risque d’exactions, de bavures et de violations des droits humains. En l’absence de cadre légal et de contrôle démocratique, l’arrivée de forces armées étrangères non étatiques dans les rues haïtiennes pourrait aggraver une situation déjà explosive.

Cette initiative intervient alors que plusieurs quartiers populaires de la capitale sont quotidiennement le théâtre de fusillades, d’incendies volontaires, de viols collectifs et de déplacements forcés. Des milliers de personnes vivent sous la terreur, piégées entre des gangs rivaux qui se disputent le territoire, et un État impuissant à les protéger.

Pour les défenseurs des droits humains, la sécurité ne peut être restaurée durablement sans justice, ni transparence, et encore moins en faisant appel à des acteurs privés dont les intérêts sont souvent purement commerciaux. Beaucoup appellent plutôt à renforcer les institutions policières haïtiennes, à mettre fin à l’impunité et à organiser des élections démocratiques.

Alors que la population haïtienne attend des gestes forts pour sortir du chaos, l’annonce du recours à une société militaire privée apparaît, pour beaucoup, comme un aveu d’échec de l’État. Elle pose également la question de la souveraineté nationale et de l’avenir d’un pays en proie à une spirale de violence et de dépendance sécuritaire extérieure.

Dans ce climat d’incertitude, la transparence, la reddition de comptes et le dialogue avec la société civile semblent plus que jamais indispensables pour éviter que cette nouvelle tentative de restauration de l’ordre ne se transforme en source supplémentaire d’instabilité et de division.