Dans un climat d’effondrement institutionnel, l’économie haïtienne devient le terrain de jeu d’une élite prédatrice : politiciens corrompus, barons économiques et bourgeoisie comprador orchestrent, main dans la main, la capture de l’État au détriment du développement national.



Haïti, nation autrefois porteuse d’un immense espoir d’émancipation, est aujourd’hui le théâtre d’une tragédie économique et politique sans précédent. Tandis que les institutions s’effondrent, que la justice est muselée et que la population sombre dans une précarité extrême, une poignée d’acteurs bien identifiés prospère dans le chaos. Le vide laissé par l’État de droit n’est pas un accident, mais le fruit d’une stratégie bien huilée au profit d’une élite haïtienne : la bourgeoisie comprador, adossée à des réseaux politico-financiers corrompus.

Derrière les discours officiels sur la stabilité et la croissance, une économie de prédation se met en place. Elle est structurée autour d’importateurs protégés, de monopoles sur les denrées de base, de contrats publics frauduleux et de détournements d’aides internationales. Cette élite économique haïtienne, souvent liée à de puissants clans familiaux, ne produit rien, n’investit pas dans le pays, mais tire d’immenses profits en important à bas coût des produits étrangers, tout en contrôlant les leviers bancaires, portuaires et douaniers. C’est ce que les économistes appellent la bourgeoisie comprador, un maillon local des intérêts étrangers, déconnecté de toute vision de développement national.

Cette domination économique ne serait pas possible sans le soutien d’une classe politique corrompue, véritable bras armé de ce système. Ministres, députés, directeurs d’agences publiques : nombreux sont ceux qui vendent leurs signatures pour attribuer des marchés fictifs, facilitent l’évasion fiscale ou blanchissent l’argent des cartels via des entreprises-écrans. L’absence de contrôle institutionnel, la cooptation des tribunaux et la militarisation des services de sécurité permettent à cette oligarchie politico-financière de maintenir son emprise.

L’économie haïtienne n’est donc pas seulement sinistrée : elle est capturée, dans un processus de “mafiaïsation” où l’intérêt collectif est systématiquement sacrifié au profit d’un petit cercle d’initiés. Les données du commerce extérieur le confirment : l’importation massive de riz américain subventionné a détruit l’agriculture locale ; les fonds PetroCaribe, censés financer des infrastructures, ont été dilapidés sans aucun bilan crédible ; et l’économie informelle, seule bouée de survie pour des millions d’Haïtiens, reste criminalisée et réprimée.

Dans ce contexte, parler de développement durable ou de réformes structurelles sonne comme une farce cynique. L’absence d’État de droit en Haïti n’est pas une faiblesse du système, c’est le système. La bourgeoisie comprador et les politiciens corrompus ont tout intérêt à maintenir cet effondrement contrôlé, qui leur assure impunité, profits et pouvoir. Tant que cette architecture du pillage ne sera pas démantelée, aucune aide internationale, aucune élection ni mission onusienne ne pourra sortir Haïti de sa spirale de déclin.

Ce que vit Haïti aujourd’hui n’est pas une crise passagère, mais une gouvernance du chaos érigée en modèle économique. Le peuple haïtien mérite mieux que cette capture systémique, mais pour renverser l’ordre établi, il faudra briser les chaînes invisibles de cette alliance toxique entre richesse parasitaire et pouvoir corrompu.