Ce jeudi, un basculement historique s’opère à la tête de l’État haïtien. Laurent Saint-Cyr, figure du secteur privé et coordinateur du Conseil présidentiel de transition (CPT), prend officiellement les rênes du pouvoir, marquant ainsi un tournant décisif dans la gouvernance politique et économique d’Haïti. Dans cette même dynamique Alix Didier Fils-Aimé est en place comme Premier ministre en fonction. Ce duo issu du monde des affaires soulève des interrogations cruciales sur l’avenir économique de la nation.
Alors que la République d’Haïti traverse l’une des périodes les plus sombres de son histoire moderne — marquée par l’effondrement de ses institutions, la fragilité sécuritaire et la paupérisation galopante — une nouvelle ère s’ouvre sous le signe d’un capitalisme de connivence à peine voilé. Le secteur privé haïtien, longtemps accusé de capter les ressources de l’État sans contrepartie réelle pour le développement national, se trouve aujourd’hui placé en position de pouvoir politique.
Laurent Saint-Cyr, ancien président de la Chambre de commerce et d’industrie, ancien membre du HCT ( Haute Conseil de la transition dirigé par Mme Mirlande Manigat sous le gouvernement de transition du premier Ariel Henry, est perçu par beaucoup comme le symbole d’un secteur privé dit comprador, tourné vers la préservation de ses privilèges et aligné sur les intérêts étrangers plutôt que sur la souveraineté économique du pays. Son ascension à la tête du CPT suscite autant d’espoirs que de craintes. Espoirs d’un retour à une certaine rationalité économique. Craintes d’une instrumentalisation des leviers de l’État au profit d’intérêts oligarchiques.
La nomination d’Alix Didier Fils-Aimé en novembre 2024, également issu des sphères d’influence économique, renforce cette impression d’une privatisation rampante de l’État. Ce tandem, bien que légitimé par l’urgence de restaurer l’ordre, devra faire face à un immense défi : redonner confiance à un peuple exsangue, confronté à une inflation chronique, une monnaie volatile, une insécurité alimentaire structurelle et un exode massif de sa jeunesse.
Le risque est grand de voir la gouvernance se réduire à une gestion technocratique déconnectée des réalités populaires. Car l’économie haïtienne ne se résume pas aux intérêts du secteur formel ni aux seuls bilans comptables. Elle est aussi rurale, informelle, communautaire, résiliente. Une gouvernance captée par les élites économiques pourrait aggraver les fractures sociales déjà béantes, à moins d’un changement de paradigme profond et inclusif.
Haïti n’a plus le luxe de l’opacité ni du favoritisme. Il est urgent de reconstruire un contrat social fondé sur la transparence, la justice fiscale, l’investissement public stratégique, et le soutien réel aux secteurs productifs locaux. Une économie au service du peuple, et non l’inverse.
Dans cette phase de transition historique, le secteur privé haïtien est désormais face à ses responsabilités. Le pouvoir n’est plus seulement dans les coulisses. Il est au grand jour. Reste à voir s’il saura faire preuve d’éthique républicaine ou s’il poursuivra la logique d'accaparement qui a conduit le pays au bord du précipice.
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