Alors que les agents de l’ICE multiplient les descentes ciblées contre les travailleurs sans-papiers dans les rues, usines et commerces de Los Angeles, l’administration Trump évite soigneusement de poursuivre les employeurs qui les embauchent — pourtant aussi en infraction avec la loi.



Depuis le début du mois, des centaines de travailleurs potentiellement sans statut légal ont été arrêtés à Los Angeles : ouvriers dans les laveries, manœuvres recrutés devant des Home Depot, employés d’ateliers de confection ou encore nettoyeurs de voitures. Mais aucun des employeurs, petits ou grands, n’a été inquiété. Et ce, malgré la loi fédérale de 1986 qui criminalise l’embauche de travailleurs sans autorisation.

« Il existe quelques cas de poursuites contre des personnes ayant sciemment embauché des sans-papiers, mais c’est extrêmement rare », souligne Ahilan Arulanantham, codirecteur du Centre pour le droit et la politique de l’immigration à l’Université UCLA. « L’appareil judiciaire n’a tout simplement pas d’appétit pour ce type de poursuite. »

Les actions menées par l’ICE visent systématiquement les travailleurs, rarement les employeurs. Pourtant, les secteurs comme l’agriculture, l’hôtellerie ou la restauration reposent largement sur cette main-d’œuvre. En Californie, on estime que plus de la moitié des 900 000 ouvriers agricoles seraient sans papiers, selon le Public Policy Institute of California.

Jean Reisz, de l’Université de Californie du Sud, le confirme : « Les États-Unis ont toujours compté sur le travail des immigrés, y compris ceux en situation irrégulière. »

En reconnaissant récemment que ses politiques migratoires nuisaient aux agriculteurs et aux restaurateurs, Donald Trump a temporairement suspendu les descentes de l’ICE dans ces secteurs. Un geste qui illustre bien les contradictions de sa stratégie : sanctionner les travailleurs sans froisser les employeurs qui composent une part importante de sa base politique.

La loi sur la réforme de l’immigration (Immigration Reform and Control Act) prévoit des amendes et des peines d’emprisonnement pour les employeurs récidivistes. Mais dans la pratique, les poursuites sont quasiment inexistantes. « Il y a une longue tradition d’agents fédéraux qui poursuivent agressivement les sans-papiers, mais épargnent les employeurs », explique Arulanantham.

Pendant ce temps, les travailleurs risquent l’arrestation, la détention et l’expulsion. « Les conséquences civiles pour un sans-papiers — comme être séparé de sa famille après des années de vie ici — sont souvent bien pires que les conséquences pénales », ajoute-t-il.

Pourtant, un outil existe pour aider les entreprises à vérifier le statut de leurs employés : le programme fédéral E-Verify. Mais son usage reste facultatif, sauf pour les contractants fédéraux. En Californie, à peine 16 % des employeurs y sont inscrits.

« Beaucoup d’entreprises ferment les yeux, car elles dépendent de cette main-d’œuvre », explique Reisz. Imposer E-Verify sans réforme plus large de la politique migratoire risquerait de fragiliser tout un pan de l’économie.

Si l’administration ferme les yeux sur les employeurs, c’est aussi pour des raisons économiques : les travailleurs sans-papiers occupent des postes que peu d’Américains acceptent — mal payés, physiques, peu valorisés. Leur précarité les rend aussi plus dociles, moins enclins à réclamer de meilleurs salaires ou conditions de travail.

Mais cette stratégie de tolérance tacite soulève une question d’éthique : comment justifier de punir les travailleurs, souvent installés depuis des années, tout en laissant les employeurs bénéficier d’un système qu’ils savent illégal ?

Comme le résume Jean Reisz : « Le récit de l’administration Trump sur l’immigration est celui de criminels dangereux franchissant la frontière pour prendre nos emplois. Ce récit ne colle pas avec l’idée de sanctionner les employeurs. »

Source : Los Angeles Times