Dans une nouvelle offensive contre l’immigration illégale, les autorités américaines exigent désormais que les bailleurs transmettent des dossiers complets sur leurs locataires, soulevant de sérieuses questions juridiques et des accusations d’intimidation.



La pression s’intensifie sur les propriétaires immobiliers aux États-Unis. Selon plusieurs sources confirmées par l’agence Associated Press, des agents de l’immigration exigent actuellement des documents sensibles concernant les locataires : contrats de bail, formulaires de candidature, pièces d’identité, adresses postales et autres données personnelles. Ces demandes sont transmises via des assignations administratives non signées par un juge, émanant directement de l’unité antifraude de l’USCIS (le service de citoyenneté et d’immigration).

À Atlanta, l’avocat immobilier Eric Teusink confirme que plusieurs de ses clients — gestionnaires de résidences multifamiliales — ont reçu ces convocations officielles. “Ils nous demandent littéralement des dossiers complets sur les locataires et parfois sur d’autres personnes vivant avec eux,” précise-t-il. Les informations demandées incluent emploi, situation maritale et liens familiaux — des données pourtant protégées par la loi.

Le caractère non judiciaire de ces convocations soulève des doutes légitimes : peut-on y résister ? Selon Stacy Seicshnaydre, professeure de droit à l’université Tulane, “le danger ici, c’est la sur-conformité. Juste parce qu’un propriétaire reçoit une assignation ne signifie pas qu’elle est légitime.” Beaucoup craignent en effet de violer la Fair Housing Act, qui interdit toute forme de discrimination basée sur la nationalité, la couleur ou l’origine.

Tricia McLaughlin, porte-parole du département de la Sécurité intérieure, défend quant à elle ces pratiques. Selon elle, “les assignations administratives délivrées par l’ICE sont tout à fait valides et peuvent donner lieu à des sanctions sévères si elles ne sont pas respectées.”

Mais pour plusieurs avocats spécialisés en droit de l’immigration, ces lettres ne sont que des requêtes — parfois intimidantes — sans aucune valeur contraignante tant qu’un juge ne les a pas validées.

L’administration Trump, qui a relancé en masse les opérations d’expulsion depuis son retour au pouvoir, cherche visiblement à contourner les blocages juridiques habituels en s’attaquant directement aux réseaux de logement. Cette stratégie inquiète : “Pourquoi l’ICE a-t-elle besoin des fichiers des bailleurs si elle traque des criminels ?” s’interroge Anthony Luna, directeur d’un grand groupe de gestion locative à Los Angeles. “S’ils ont des mandats, qu’ils passent par les tribunaux.”

L’initiative, qui s’ajoute aux campagnes de descentes dans les fermes et les hôtels, semble viser une autre catégorie : les travailleurs sans papiers intégrés, souvent sans casier judiciaire, mais vulnérables car localisables via leur adresse contractuelle. Une stratégie jugée à la fois opaque et brutale par les défenseurs des droits humains.

En toile de fond, c’est tout un pan de la société civile qui s’inquiète : propriétaires inquiets, locataires effrayés, avocats débordés. Jordana Roubicek Greenman, avocate à Boston, affirme qu’un de ses clients a reçu un message vocal vague de la part d’un agent de l’ICE. “Je lui ai dit de ne pas rappeler.”

En l’absence d’une obligation judiciaire formelle, de nombreux bailleurs refusent désormais de collaborer. Mais certains cèdent, de peur d’être accusés d’obstruction à une enquête fédérale.

La ligne reste floue : les assignations peuvent-elles réellement être contestées ? Pour l’instant, seule une plainte déposée par l’ICE devant un tribunal fédéral pourrait les rendre exécutoires.

Cette tactique, dénoncée par de nombreuses associations, alimente un sentiment croissant de surveillance généralisée. Elle marque surtout une nouvelle étape dans la politique migratoire radicale de Donald Trump, qui entend externaliser la détection des sans-papiers au secteur privé — quitte à fragiliser les droits fondamentaux de tous.

Dans ce climat tendu, les campagnes “Know Your Rights” (Connaissez vos droits) se multiplient pour informer propriétaires et locataires. Car dans l’Amérique de 2025, même la porte d’entrée d’un logement peut désormais devenir une ligne de front.

Source : AP