Cent jours après que Christine Lagarde a suggéré de hisser l’euro au rang d’alternative au billet vert, les premiers chiffres donnent corps à cette ambition. Mais entre l’ombre persistante du dollar et les fragilités de l’architecture européenne, la monnaie unique joue encore sur un fil.
Un rapport publié par ING ce mercredi dresse un constat nuancé mais prometteur : l’euro gagne du terrain dans le jeu monétaire mondial, même si le dollar conserve une suprématie écrasante. La part de la monnaie européenne dans les réserves de change internationales s’établit autour de 20 %, un seuil encore modeste, mais dont la progression est visible chez de nouveaux acteurs, notamment des banques centrales de marchés émergents en Inde, en Amérique latine et en Afrique. Ces dernières privilégient désormais des émissions obligataires en euros, marquant un changement de stratégie face à l’omniprésence du dollar.
L’étude révèle aussi que les investisseurs étrangers ont absorbé une grande partie de la dette supplémentaire émise dans la zone euro à la suite du retrait progressif de la BCE de ses programmes de soutien. Rien qu’entre mai et juin 2025, ce sont 186 milliards d’euros de dette et 46 milliards d’euros d’actions qui ont été acquis par des non-résidents. Cette dynamique témoigne d’une confiance accrue dans l’euro comme actif refuge et véhicule de diversification.
Cependant, les comparaisons rappellent la réalité : le dollar représente encore près de 60 % des réserves mondiales et 47 % des paiements internationaux. En clair, le billet vert reste la colonne vertébrale du système financier mondial. Mais les incertitudes politiques américaines, notamment liées à la présidence Trump et à la volatilité de la gouvernance budgétaire, ravivent les doutes sur sa fiabilité à long terme.
C’est précisément dans ce contexte que l’euro peut tirer parti de son statut de monnaie de stabilité. Pourtant, les experts soulignent les lacunes structurelles de l’Europe : absence d’un marché des capitaux véritablement intégré, fragmentation fiscale et manque d’une politique industrielle coordonnée. Le rapport Draghi de 2024 l’avait déjà pointé : sans une réforme profonde de l’architecture financière européenne, l’euro restera une alternative partielle, incapable de rivaliser directement avec le dollar-roi.
La question demeure donc entière : l’euro est-il en train de devenir un pilier de la finance mondiale ou n’est-il qu’un contrepoids régional renforcé par défaut face aux fragilités américaines ? Les prochains mois, entre réforme européenne et turbulences politiques à Washington, diront si la monnaie unique franchit enfin le Rubicon.
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