Et si la relance économique d’Haïti passait d’abord par ses communes ? Une décentralisation bien conçue pourrait transformer les territoires en moteurs de croissance inclusive, valorisant les ressources locales, dynamisant l’emploi, et redonnant aux populations rurales et urbaines la capacité d’agir sur leur avenir économique.



Dans un pays où Port-au-Prince concentre plus de 70 % des investissements publics et privés, penser le développement autrement devient une nécessité urgente. Depuis trop longtemps, l’économie haïtienne est enfermée dans une vision centralisée, déséquilibrée, inefficace, qui marginalise les territoires ruraux, désertifie les villes secondaires et génère des flux migratoires incontrôlés. Pourtant, la décentralisation pourrait devenir un levier stratégique pour impulser un nouveau modèle de croissance territoriale, plus équitable, plus résilient et plus ancré dans les réalités locales.

Dans le contexte haïtien, la décentralisation ne doit pas se limiter à une réforme institutionnelle : elle est un outil de transformation économique. En dotant les collectivités territoriales de compétences claires en matière de planification, d’investissement local et de gestion des ressources naturelles, on permet aux territoires de produire de la richesse et de la redistribuer localement.

Prenons l’exemple de la commune de Camp-Perrin (Sud), où la mairie a mis en place un partenariat avec des coopératives agricoles pour relancer la culture du cacao. Grâce à une approche concertée, à la mise à disposition de terres communales, et au soutien technique d’acteurs locaux, la production a doublé en trois ans, créant des dizaines d’emplois saisonniers et valorisant l’exportation de produits transformés. Ce succès, bien que limité, illustre ce qu’une gouvernance locale proactive peut accomplir.

À Milot (Nord), autre exemple emblématique, les autorités locales ont travaillé avec des artisans et des opérateurs culturels pour développer un écosystème autour du patrimoine du Palais Sans Souci, attirant progressivement des visiteurs, formant des jeunes au métier de guide et favorisant l’entrepreneuriat local. La valorisation du patrimoine devient ici un vecteur d’identité économique et de développement inclusif.

Mais ces expériences restent isolées. Trop souvent, les collectivités ne disposent pas des moyens financiers, humains ou techniques pour initier ou accompagner des dynamiques économiques locales. La centralisation des investissements, la faible autonomie fiscale des communes, l’absence de guichet unique pour les porteurs de projet à l’échelle locale, tout cela freine l’émergence d’une économie territoriale.

Pour que la décentralisation devienne réellement un levier de développement économique, il faut d’abord repenser la chaîne de création de valeur au niveau local. Cela implique : la cartographie participative des ressources territoriales (terres, forêts, savoir-faire, patrimoine, tourisme, filières agricoles) ; la planification économique locale, à travers des Plans de Développement Communaux (PDC) intégrant les volets productifs ; la mise en place d’incubateurs ruraux et de coopératives multisectorielles ; un accès facilité au crédit et au microfinancement à travers des plateformes locales.

Cela implique aussi une meilleure coordination entre les collectivités, les entreprises, les ONG, les chambres de commerce locales et les universités pour créer des synergies productives. La décentralisation doit favoriser l’émergence de pôles économiques régionaux, capables de fixer la population, d’absorber une partie de la jeunesse diplômée, et de créer une alternative durable à l’exode rural ou à l’émigration.

Enfin, il est essentiel de faire évoluer la culture administrative. Les mairies et les conseils départementaux ne doivent pas seulement être vus comme des acteurs politiques, mais comme des catalyseurs économiques. La formation des cadres locaux en gestion de projet, en fiscalité, en partenariat public-privé, et en innovation territoriale est un préalable incontournable.

Haïti ne pourra se redresser sans ses territoires. La croissance ne viendra pas d’en haut, mais de la base, à condition qu’on libère l’initiative locale. La décentralisation, bien pensée et correctement financée, peut transformer les communes en écosystèmes de production, de création et d’innovation. C’est dans l’arbre qui pousse à Jacmel, le tissu tissé à Plaisance, ou la mangue exportée de Gros-Morne que bat le cœur économique d’une autre Haïti — celle qui croit en ses territoires pour se reconstruire.