Dans un contexte explosif marqué par l’insécurité et la méfiance populaire, Laurent Saint-Cyr, représentant du secteur privé, succède à Fritz Alphonse Jean au sein du Conseil présidentiel de transition. Ce passage de relais, officialisé à la Villa d’Accueil le 7 août 2025, pourrait marquer un tournant délicat pour la gouvernance provisoire d’Haïti.



Port-au-Prince, 7 août 2025 — C’est un changement d’homme, mais pas encore de cap, au sein du Conseil présidentiel de transition (CPT), organe central du pouvoir exécutif provisoire haïtien. Ce jeudi, dans les salons feutrés de la « Villa d’Accueil », Laurent Saint-Cyr, figure respectée du secteur privé, a officiellement pris la relève de Fritz Alphonse Jean pour occuper, selon les règles protocolaires en vigueur, le siège tournant qu’il devra occuper pendant les cinq prochains mois.

Dans un contexte où les rouages de la gouvernance haïtienne sont scrutés à la loupe, cette passation de pouvoir, apparemment anodine, intervient sur fond de fortes tensions sociopolitiques dans la région métropolitaine de Port-au-Prince. Barricades en feu, manifestations éclatées, et une défiance persistante envers les élites dirigeantes donnent une tout autre résonance à ce transfert de responsabilités.

Laurent Saint-Cyr, ancien président de la Chambre de commerce et d’industrie d’Haïti (CCIH), n’est pas un inconnu du grand public ni des partenaires internationaux. Fin stratège économique, promoteur d’une vision modernisée de la gouvernance publique, il incarne l’espoir d’un dialogue renouvelé entre les acteurs institutionnels et les forces productives du pays. Mais ses détracteurs le voient comme un prolongement technocratique d’un système verrouillé, trop éloigné des réalités populaires.

Le Conseil présidentiel de transition, mis en place pour assurer la sortie de crise post-Jovenel Moïse, est censé jouer un rôle clé dans la restauration d’un minimum de stabilité, l’organisation d’élections crédibles et la refondation des institutions. Mais en cinq mois de mandat, Fritz Alphonse Jean, pourtant fort de son expérience politique et économique, aura été confronté à un immobilisme structurel : rivalités internes, faiblesse des moyens, méfiance populaire et ingérences internationales ont freiné toute avancée tangible.

Le passage de témoin à Saint-Cyr s’inscrit dans un ballet institutionnel prévu par les statuts du CPT, mais il suscite, cette fois, un regain d’intérêt national et international. Pourquoi ? Parce que l’aggravation de la crise sécuritaire et la poussée migratoire qui en découle ont placé Haïti au cœur de plusieurs agendas diplomatiques. L’arrivée d’un acteur du secteur privé à la tête du Conseil peut-elle redistribuer les cartes ? Peut-elle restaurer un semblant de confiance entre la population, les élites et la communauté internationale ?

Saint-Cyr hérite d’un pouvoir symbolique, mais aussi d’une charge lourde de responsabilités. Il devra affronter les pressions des gangs armés qui quadrillent la capitale, les attentes désespérées d’un peuple appauvri, et les injonctions des bailleurs de fonds internationaux. Le nouveau conseiller présidentiel a promis « rigueur, transparence et ouverture au dialogue » dans sa brève déclaration à la presse. Mais les mots suffisent-ils encore à Panser les plaies d’un pays à genoux ?

À mesure que le temps s’effrite, la transition devient elle-même un piège. Trop courte pour agir, trop longue pour n’être que temporaire. Si Laurent Saint-Cyr veut éviter de devenir un simple maillon du statu quo, il devra redéfinir les priorités : sécurité, justice, gouvernance locale, relance économique. Il n’a que cinq mois — mais dans l’Haïti d’aujourd’hui, chaque jour compte comme un an.