Face à une crise sécuritaire incontrôlable, Washington s’apprête à désigner les gangs haïtiens, notamment Viv Ansanm et Gran Grif, comme groupes terroristes étrangers. Une telle désignation ouvrirait la voie à des sanctions sévères et au transfert de criminels vers la prison de haute sécurité du CECOT, au Salvador.
Les États-Unis sont en passe de franchir une étape décisive dans leur politique étrangère envers Haïti. D’après des sources proches du département d’État américain, les puissants gangs haïtiens Viv Ansanm et Gran Grif pourraient bientôt être officiellement désignés comme organisations terroristes étrangères ou comme entités terroristes mondiales spécialement désignées. Une décision historique qui viendrait aligner la politique américaine envers Haïti sur celle déjà appliquée à d’autres groupes criminels comme le redouté gang vénézuélien Tren de Aragua.
Cette désignation permettrait aux autorités américaines d’étendre leur juridiction et d’infliger de lourdes sanctions, non seulement aux chefs de gangs mais aussi à toute personne leur apportant un soutien matériel, y compris des trafiquants d’armes, des financiers et même certains officiels haïtiens corrompus.
« Trop longtemps, les facilitateurs des gangs brutaux d’Haïti ont agi en toute impunité. Cela va changer », a déclaré un haut responsable du Département d’État au Miami Herald. Les membres de ces groupes pourraient être transférés dans la prison salvadorienne CECOT, un centre de confinement de sécurité maximale tristement célèbre, où sont déjà enfermés des membres de MS-13 et de Tren de Aragua.
El Salvador joue d’ailleurs un rôle de plus en plus actif dans l’assistance à la mission de sécurité multinationale dirigée par le Kenya, déployée en Haïti pour contrer les gangs. Toutefois, tout transfert de détenus haïtiens vers le CECOT devra recevoir l’approbation du ministère haïtien de la Justice.
Sur le terrain, les réactions sont partagées. Des avocats haïtiens ont lancé une pétition appelant le barreau de Port-au-Prince à demander officiellement au gouvernement de qualifier Viv Ansanm de groupe terroriste. En revanche, des membres du gouvernement de transition haïtien hésitent encore, craignant les effets négatifs qu’une telle désignation pourrait avoir sur les investissements étrangers, les assurances et les relations bancaires internationales.
Barbara Llanes, ancienne procureure fédérale américaine et spécialiste en droit international, souligne que cette reconnaissance pourrait nuire à l’image du pays : « Cela complique l’accès aux financements, aux aides et au tourisme. Une désignation de ce type implique des risques domestiques importants. »
Mais pour beaucoup d’experts en sécurité, continuer à qualifier ces groupes de simples “gangs” revient à limiter l’intervention internationale à des actions policières, alors que la nature des violences et l’étendue de leur emprise relèvent clairement d’une logique terroriste. Le cabinet haïtien Halo Solutions Firm, basé à Port-au-Prince, défend fermement cette position. Dans son dernier rapport, il recommande des mesures antiterroristes musclées, similaires à celles utilisées contre les cartels mexicains.
Le sénateur Marco Rubio, actuel secrétaire d’État, s’est rendu récemment en Jamaïque pour discuter de la crise haïtienne avec les dirigeants caribéens. Pour lui, les violences endémiques en Haïti menacent à la fois la stabilité régionale et les intérêts des États-Unis. Il envisage d’utiliser le Patriot Act, voté après les attentats du 11 septembre, pour sanctionner sévèrement les leaders de ces gangs et leurs collaborateurs.
De son côté, l’administration Trump a recours à l’Alien Enemies Act, une loi ancienne, pour justifier l’expulsion de membres du Tren de Aragua vers le Salvador, contournant les procédures judiciaires classiques.
Des politiciens haïtiens, dont l’ancien Premier ministre Claude Joseph et le juriste André Michel, ont adressé une lettre au Département d’État demandant que Viv Ansanm soit qualifié d’organisation terroriste. Ils y soulignent les conséquences dramatiques des violences : plus de 5 600 morts en 2024, plus d’un million de déplacés internes, des régions entières sous le joug des gangs, et une capitale au bord de l’effondrement.
Selon le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, au moins 1 700 Haïtiens ont déjà été tués cette année dans des attaques liées aux gangs. Treize policiers haïtiens, dont un dont le corps reste introuvable, ont également péri. Deux membres de la mission kenyane ont été tués dans une embuscade tendue par le gang Gran Grif dans l’Artibonite.
Malgré les sanctions ciblées déjà imposées par les États-Unis, l’ONU et la communauté internationale, les gangs haïtiens ne cessent d’étendre leur pouvoir. Ils s’emparent de quartiers entiers, incendient des maisons, tirent sur des drones de police, des convois diplomatiques et même des avions américains.
Face à cette menace devenue systémique, la désignation des gangs comme terroristes pourrait offrir aux États-Unis et à leurs alliés les leviers juridiques et diplomatiques nécessaires pour mener une riposte plus cohérente et efficace.
La République dominicaine a déjà pris les devants. En février, le président Luis Abinader a désigné 26 gangs haïtiens comme organisations terroristes. Il a averti que tout membre de ces groupes pénétrant sur son territoire serait arrêté, jugé et incarcéré conformément à la nouvelle législation antiterroriste. Il a également critiqué l’inaction de la communauté internationale.
Alors que le chaos s’installe durablement en Haïti, le monde observe la réaction américaine. Le moment semble venu d’opter pour une approche plus ferme, afin de protéger non seulement les Haïtiens, mais aussi la sécurité régionale et internationale.
Source : MIAMI HERALD
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