Dans un pays où la décentralisation est inscrite dans la Constitution mais toujours inachevée, les maires et CASEC incarnent une autorité de proximité théorique, privée de moyens et de pouvoir. Entre tutelle paralysante, absence de financement et centralisation institutionnelle, ces figures locales peinent à jouer leur rôle de moteur du développement territorial.
Ils sont élus, parfois respectés, souvent démunis. Les maires et les CASEC (Conseils d’Administration de Section Communale) devraient être les chevilles ouvrières de la gouvernance locale en Haïti. Symboles de la décentralisation prônée depuis la Constitution de 1987, ils sont censés porter la voix des citoyens dans la gestion des affaires publiques de proximité. Pourtant, derrière les titres et les écharpes, se cache une réalité institutionnelle crue : ces acteurs locaux ne disposent ni du pouvoir réel, ni des outils nécessaires pour gouverner efficacement.
Prenons le cas d’un maire dans une commune comme Lascahobas (Centre). Élu sur la base d’un programme de développement local, il se heurte dès les premières semaines de mandat à un mur administratif : aucun transfert effectif de compétences de l’État central, budget précaire, agents non formés, et une tutelle constante du Ministère de l’Intérieur. Même les décisions de gestion courante, comme la signature d’un contrat pour la collecte des ordures, doivent parfois être validées par la Direction générale des collectivités territoriales (DGCT).
De leur côté, les CASEC, censés incarner le gouvernement des sections communales — unité territoriale de base en milieu rural — sont encore plus invisibles. Sans bureaux fonctionnels, sans budget, sans équipement, souvent sans même de salaire régulier, les CASEC de communes comme Jean-Rabel, Thiotte ou Anse-à-Foleur improvisent dans des conditions dégradantes. Certains n’ont ni imprimante, ni connexion internet, ni même de chaise pour recevoir les habitants. Leur rôle dans la planification locale reste flou, et leur légitimité, fragilisée par le clientélisme ou la politisation excessive.
Cette impuissance des autorités locales s’explique par plusieurs facteurs. D’abord, le système de tutelle exercé par le pouvoir central n’a jamais été redéfini depuis les années post-dictature. Ce contrôle étroit, souvent arbitraire, fait des collectivités des entités dépendantes, presque subordonnées. Ensuite, le cadre juridique est incomplet, avec des lois organiques inachevées, des textes contradictoires, et l’absence d’un Code général des collectivités territoriales, pourtant promis depuis plus de deux décennies.
Plus grave encore : le financement des collectivités est dérisoire. La majorité des mairies fonctionnent avec un budget annuel inférieur à celui d’une petite ONG locale. Les recettes fiscales sont quasi inexistantes, et les transferts de l’État central sont non seulement insuffisants, mais souvent imprévisibles. Cette précarité transforme les maires en quémandeurs, dépendants des alliances politiques pour obtenir un projet, un camion, ou un agent de sécurité.
Et pourtant, ce sont ces mêmes maires et CASEC qu’on appelle à intervenir en cas d’urgence : glissements de terrain, déplacements forcés, conflits fonciers, insécurité, épidémies. Le fossé entre les responsabilités attendues et les moyens disponibles est abyssal. Il en résulte une désillusion profonde chez les élus locaux, et une méfiance généralisée des citoyens envers des institutions territoriales perçues comme inefficaces ou corrompues — alors qu’elles sont le plus souvent simplement impuissantes.
Pour redonner sens et force à la décentralisation, il est temps de redéfinir le rôle des autorités locales en Haïti. Cela passe par : un transfert clair de compétences avec des moyens humains et financiers associés ; la refonte de la tutelle vers un appui-conseil et non une supervision autoritaire ; la sécurisation budgétaire des collectivités, avec un fonds de dotation régulier et indexé ; la professionnalisation des équipes locales, avec des formations continues et des outils modernes de gestion publique.
Sans cela, la décentralisation restera un discours creux. Et les maires comme les CASEC, des gestionnaires de crise sans pouvoir, laissés seuls face à la complexité des défis territoriaux.
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