L’instrumentalisation de la souffrance populaire à des fins politiques refait surface, alors que l’ascension de Laurent Saint-Cyr à la tête du Conseil présidentiel de transition (CPT) suscite une vague de propagande déguisée en soutien populaire.
Port-au-Prince, 7 août 2025 — Dans un pays où les rues sentent la faim, la peur et l’abandon, chaque mouvement politique est un théâtre. Et aujourd’hui, la scène se joue autour de Laurent Saint-Cyr, le nouveau coordinateur du Conseil présidentiel de transition (CPT). Alors que la population haïtienne ploie sous le poids de l’insécurité, de l’inflation et du chaos institutionnel, une campagne d’image savamment orchestrée présente la nomination de Saint-Cyr comme un renouveau. Mais que cache vraiment cette effusion de soutien ?
Les vidéos circulant sur les réseaux sociaux montrent des groupes de jeunes arborant des t-shirts à l’effigie du nouveau coordinateur, scandant des slogans creux sous des banderoles imprimées à la hâte. Des scènes qui, pour un œil averti, relèvent plus du montage stratégique que de l’enthousiasme populaire spontané. Derrière les caméras, la réalité est tout autre : bidonvilles sous tension, familles déplacées par la violence des gangs, chômage endémique et système de santé en ruine.
Laurent Saint-Cyr, pourtant issu du secteur privé et auréolé d’une réputation de gestionnaire rigoureux, devient malgré lui — ou peut-être à dessein — le visage d’une opération de communication politique où l’on recycle la misère comme décor d’adhésion. Ce phénomène n’est pas nouveau en Haïti, mais il atteint aujourd’hui un nouveau seuil de cynisme. Dans un pays dépourvu de légitimité électorale depuis des années, où la parole citoyenne est étouffée par les armes et la faim, le pouvoir s’invente un peuple en studio.
Le vrai peuple, lui, n’applaudit pas. Il survit. Il fuit les balles à Cité Soleil, les kidnappings à Carrefour, les marchés fermés à Delmas. Il ne s’enflamme pas pour un changement de coordinateur au sein d’un Conseil présidentiel dont l’efficacité reste à prouver. Il réclame de l’eau potable, de l’électricité, une école fonctionnelle et le droit de vivre sans se cacher.
L’ascension de Saint-Cyr, légale selon les statuts internes du CPT, intervient dans un contexte où l’État reste spectral. Le théâtre du pouvoir, lui, est bien vivant. Et c’est dans cette mise en scène bien huilée que les équipes de communication politiques transforment des poches de misère en images de liesse populaire. Les partisans mis en avant dans les médias ne représentent pas un mouvement citoyen conscient, mais bien souvent des groupes instrumentalisés, mobilisés à coups de promesses ou de per diem.
La misère est un capital politique en Haïti. Elle justifie l’aide humanitaire, attire les ONG, légitime les promesses électorales et nourrit les ambitions des élites en quête de crédibilité internationale. Saint-Cyr, nouveau visage de la transition, devra rapidement clarifier s’il entend jouer ce jeu ou rompre avec cette logique perverse. Car à trop jouer avec la souffrance du peuple, le pouvoir finit toujours par perdre son masque.
Dans un pays où le mot “transition” est devenu synonyme d’attente éternelle, la seule légitimité qui compte désormais est celle de l’action concrète. Les slogans ne nourrissent pas. Les images ne sécurisent pas. Les discours ne guérissent pas. Il est temps que les dirigeants haïtiens, quels qu’ils soient, sortent du théâtre d’ombres et affrontent la lumière crue de la réalité.
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