Avec plus de 63 milliards de transactions en 2024, le système de paiement instantané brésilien PIX bouscule l’ordre financier mondial. Alors que la Banque centrale du Brésil prépare son expansion internationale, les États-Unis ouvrent une enquête, redoutant une menace pour les intérêts de Visa et Mastercard.
Le Brésil est en train d’écrire un nouveau chapitre dans l’histoire mondiale des paiements numériques. Son système PIX, lancé par la Banque centrale en 2020, a franchi un cap vertigineux en 2024 avec plus de 63 milliards de transactions enregistrées, uniquement à l’intérieur du pays. Ce succès fulgurant alimente désormais une ambition globale : l’expansion de PIX International, une version transfrontalière capable de rivaliser avec les standards mondiaux.
Pensé pour offrir des paiements instantanés, gratuits et universels, PIX est rapidement devenu une alternative solide aux cartes bancaires, virements et applications commerciales. Accessible 24h/24, il a transformé les usages au Brésil, de la grande entreprise jusqu’au vendeur ambulant. En termes d’adoption, PIX est comparable à UPI en Inde, Alipay en Chine, ou encore Zelle aux États-Unis, mais avec une portée potentielle bien plus audacieuse : un modèle souverain, public et interopérable, dans un pays de plus de 215 millions d’habitants.
Mais ce modèle alternatif ne plaît pas à tout le monde. Les autorités américaines, sous l'administration Trump, viennent d’annoncer l'ouverture d'une enquête officielle sous la section 301 du Trade Act, visant notamment les pratiques du Brésil en matière de services de paiement. Derrière le langage diplomatique, l’inquiétude est palpable : Visa et Mastercard, qui représentent ensemble près de 82 % du marché mondial des cartes de paiement (50 % pour Visa, 32 % pour Mastercard), voient en PIX une menace directe à leur hégémonie si celui-ci venait à s’exporter dans d'autres pays émergents.
Pour Washington, le danger est double : économique et stratégique. D’un côté, un système public, interbancaire, gratuit et instantané pourrait contourner les rails financiers traditionnels dominés par les géants américains. De l’autre, l’expansion internationale de PIX pourrait servir de tremplin à une influence monétaire accrue du Brésil en Amérique latine et au-delà, au détriment du dollar.
Du côté de la Banque centrale du Brésil, on reste confiant. Le projet "PIX International" se positionne comme un levier d’inclusion financière, capable de fluidifier les échanges commerciaux régionaux et d’intégrer les populations non bancarisées dans le système économique global. L’objectif est clair : créer un système de paiement ouvert, sûr, rapide, et moins dépendant des infrastructures privées étrangères.
Cette tension entre innovation souveraine et protectionnisme financier relance un vieux débat sur la gouvernance des systèmes de paiement mondiaux. Si l’on assiste à une multiplication des initiatives nationales – de l’e-naira au Nigeria au Digital Yuan en Chine – PIX pourrait bien devenir le premier modèle du Sud à s’imposer au Nord.
Mais le chemin reste semé d’embûches : obstacles réglementaires, pression diplomatique, sécurité des données, et surtout la capacité à bâtir une interopérabilité internationale sans perdre son ADN souverain.
Une chose est sûre : la guerre des paiements ne fait que commencer, et elle ne se jouera pas seulement à Wall Street… mais aussi à Brasília.
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