Comédien au timbre inimitable, dramaturge à la gouaille tranchante, et génie discret de la publicité haïtienne, Roland Dorfeuille — plus connu sous le nom de Pyram — demeure l’un des artistes les plus originaux du XXe siècle haïtien. De la scène à l’écran, des jingles aux slogans populaires, il a laissé une empreinte indélébile dans la mémoire culturelle du pays.



Une voix qui portait loin, un rire contagieux, et des mots qui restaient dans la bouche du peuple. Voilà comment beaucoup se souviennent de Roland Dorfeuille, ce virtuose du langage né en 1943, élevé dans les ruelles de Carrefour et monté sur les cimes de l’art dramatique haïtien avec la puissance d’un tambour sacré.

Si la majorité du grand public le reconnaît pour son rôle mythique de Pyram dans la pièce Pèlen Tèt de Frankétienne, jouée avec le non moins iconique Polidò (François Latour), c’est dans la publicité que Dorfeuille a véritablement révolutionné la manière de vendre en Haïti. Il ne vendait pas un produit, il racontait une histoire. Il ne chantait pas un slogan, il scandait un proverbe.

Roland Dorfeuille comprenait mieux que quiconque l’âme du consommateur haïtien. Il savait que, pour captiver, il ne fallait pas seulement informer : il fallait enchanter. Ses spots publicitaires étaient de véritables sketches théâtraux, des mini-pièces pleines d’humour, de malice et de vérité populaire.

Qui n’a jamais ri, ou réfléchi, devant ses célèbres phrases devenues des classiques ?
— « Epi?... epi anyen! »
— « Eklere ta ! »
— « M anvi wè mouch ! »

Ces expressions ne venaient pas de nulle part : elles jaillissaient d’une sensibilité populaire authentique, d’un art de parler vrai. Dorfeuille possédait un don unique pour transformer des scènes de vie quotidienne en poésie de marché, en paraboles sociales où la satire servait autant à vendre un savon qu’à dénoncer la politique.

Outre la publicité, Dorfeuille s’est illustré dans plusieurs films et séries haïtiennes emblématiques comme Bouki nan Paradi aux côtés de Fabienne Colas, Cousine avec Jimmy Jean-Louis et Jessica Généus, ou encore Gabel de Bob Lemoine. Il savait jouer autant les rôles comiques que dramatiques, avec une palette d’émotions toujours juste et une gestuelle immédiatement reconnaissable.

Mais c’est dans Mr Pyram et Les Émigrés qu’il touche à cette vérité crue et tendre du vécu haïtien, entre déracinement, rire, résilience et mémoire. À l’image de l’Haïtien moyen, il jonglait avec l’absurde et le sacré, dans un théâtre permanent entre survie et dignité.

Le 10 octobre 2008, à 65 ans, Roland Dorfeuille s’éteint à Port-au-Prince. L’ironie de la vie ? Une hémorroïde aiguë met fin à l’existence d’un homme qui avait tant donné de voix, de corps et d’esprit à la société haïtienne. Mais il n’est jamais parti vraiment. Son rire résonne encore dans les mémoires, ses phrases circulent comme des proverbes dans les rues, et son art survit dans chaque publicité qui tente, tant bien que mal, de raconter quelque chose de vrai.

Aujourd’hui encore, Pyram est bien plus qu’un personnage : il est un héritage vivant de la créativité haïtienne, un témoin du pouvoir du verbe créole et de l’intelligence populaire.

Roland Dorfeuille nous a appris qu’on peut vendre un produit sans vendre son âme.