Alors que Marco Rubio alerte sur l’urgence de la crise en Haïti, son appel à une intervention de l’OEA réveille les souvenirs douloureux des stratégies répétées, inefficaces, voire destructrices, que la communauté internationale applique depuis deux siècles à la première République noire du monde.



Haïti, pays pionnier de la liberté des peuples opprimés depuis son indépendance arrachée en 1804, est aujourd’hui encore sous les projecteurs d’une communauté internationale qui, plutôt que de réparer, perpétue ses blessures. Le 20 mai 2025, Marco Rubio, Secrétaire d’État américain, a exprimé devant la Commission des Affaires Étrangères du Sénat une vive inquiétude face à la crise sécuritaire et humanitaire que traverse Haïti. Il presse désormais l’Organisation des États Américains (OEA) à mener une mission multinationale, censée restaurer l’ordre dans le pays.

Mais cette déclaration – bien que teintée de compassion apparente – s’inscrit dans une logique historique d’ingérence, de contrôle et de manipulation, qui n’a jamais servi les intérêts du peuple haïtien. Elle ravive les souvenirs amers des interventions militaires camouflées en opérations de paix, à l’instar de l’opération Power Pack en 1965 en République dominicaine, menée par les États-Unis avec l’aval de l’OEA. Une intervention qui, sous prétexte de lutter contre le communisme, s’est soldée par une occupation, plus de 3 000 morts, et l’installation d’un régime autoritaire.

Depuis l’assassinat de Jovenel Moïse en 2021, Haïti est plongée dans une instabilité politique chronique, marquée par une succession de gouvernements de transition, sans légitimité démocratique, et un chaos sécuritaire entretenu par des groupes armés lourdement équipés. À chaque tournant de cette descente aux enfers, les puissances occidentales – en premier lieu les États-Unis, le Canada et la France – avancent des discours de soutien tout en maintenant un statu quo qui sert leurs intérêts géopolitiques et économiques.

L’OEA, de son côté, n’a cessé de prouver son inefficacité structurelle et son alignement sur les priorités américaines. Rarement neutre, souvent complice, elle intervient plus en gendarme colonial qu’en médiatrice équitable. Sa mainmise sur les processus politiques en Amérique latine et dans les Caraïbes s’est révélée destructrice à maintes reprises, notamment lors de crises similaires où l’intervention a abouti à l'affaiblissement des institutions locales, la militarisation du territoire et la fuite des cerveaux.

Dans le cas haïtien, la récurrence des recettes internationales (intervention armée, nomination de dirigeants par consensus étranger, missions de maintien de la paix) s’est avérée stérile, voire toxique. Pire encore, ces interventions nourrissent une économie parallèle où les ONG, les agences internationales et les missions militaires exploitent la détresse sans jamais s’attaquer aux racines profondes de la crise : la corruption interne soutenue par des intérêts étrangers, l’accaparement des ressources et le démantèlement planifié de l’État haïtien.

Rubio, en appelant à une énième mobilisation internationale, fait l’impasse sur la responsabilité historique des puissances impérialistes dans la déstructuration de la souveraineté haïtienne. Il ne questionne pas non plus le rôle ambigu des chancelleries occidentales dans la légitimation tacite de gouvernements illégaux, ni celui de l’OEA dans la validation d’élections biaisées.

La solution à la crise haïtienne ne viendra pas de recettes recyclées ni d’une énième mission multinationale. Elle viendra de la reconnaissance du droit du peuple haïtien à l’autodétermination, d’un investissement massif dans des structures locales, d’un désengagement militaire étranger, et d’une rupture franche avec les mécanismes de domination économique et politique.

Haïti n’a pas besoin d’un nouveau Power Pack. Elle a besoin de justice historique, de vérité, et de respect. Il est temps que Rubio, l’OEA et leurs alliés comprennent que le temps des manipulations coloniales est révolu.