Avec "Se Ou Li Ye", Antonny Drew et Vanessa Désiré offrent une fresque musicale d’une intensité rare. Portée par des voix vibrantes et un texte aussi brut que poétique, cette chanson créole est une confession, un cri doux-amer sur les paradoxes de l’amour et la dignité de la douleur.



Il est des musiques qui n’expliquent rien mais révèlent tout. "Se Ou Li Ye", ce duo vibrant entre Antonny Drew et Vanessa Désiré, ne raconte pas simplement une histoire d’amour blessée. Il met en scène l’architecture intérieure du cœur, ce lieu fragile où l’on cache ce qui nous consume encore.

Dès les premières notes, un silence s’installe, presque sacré. On y entre comme on entre dans une église abandonnée : en retenant son souffle, conscient que chaque mot est une ruine vivante. La voix d’Antonny, grave et résolue, scande une promesse à lui-même — celle de ne plus retomber. Mais le cœur a ses révoltes, et l’âme, ses rechutes. "Doulè mwen sé ou li yé / Rèmèd mwen sé ou li yé…"

C’est là que réside le génie poétique de cette chanson : dans le paradoxe assumé. L’être aimé est à la fois poison et antidote. L’amour devient cette plaie qu’on lèche en secret, ce feu qu’on ravive même quand il brûle déjà tout.

Vanessa Désiré, elle, entre dans la partition comme un vent dans un arbre de nuit. Sa voix ne supplie pas — elle exhale, elle accuse, elle absout. Elle est la femme qui a tout donné, tout perdu, et qui, dans le vertige du manque, choisit de ne plus vouloir être sauvée. “Si ou kwazé-m, fè tankou ou pa wè-m…”

L’arrangement musical reste sobre. Pas de fioritures. Les instruments se mettent en retrait pour laisser la douleur parler, pour laisser le silence entre les mots peser autant que les vers eux-mêmes. La production est un écrin discret pour un texte qui tient à la fois de la lettre jamais envoyée et du dernier murmure avant l’oubli.

"Se Ou Li Ye" est une œuvre d’art. Elle parle aux fracturés de l’intérieur, à ceux qui ont trop aimé, trop espéré, et qui pourtant choisissent de ne pas se détester pour avoir cru. C’est une élégie, oui. Mais une élégie debout. Une chanson pour les cœurs cabossés mais encore dignes.

Et si la culture haïtienne a toujours su chanter la joie comme la tragédie, ce morceau s’inscrit dans la grande tradition de la poésie du quotidien, où chaque battement de tambour est une larme, et chaque souffle, une prière.

Antonny Drew et Vanessa Désiré ne chantent pas seulement un amour perdu. Ils chantent ce que l’amour laisse en nous quand il s’en va.