Le gouvernement Trump a discrètement lancé la première base de données nationale de citoyenneté aux États-Unis, conçue pour permettre aux responsables électoraux de vérifier rapidement si les électeurs inscrits sont bien citoyens américains. Ce système, encore en phase de déploiement, constitue une rupture sans précédent dans la manière dont les États vérifient l’éligibilité au vote, mais il soulève de vives inquiétudes quant au respect de la vie privée et à l’absence de consultation publique.
Jusqu’à présent, aucun fichier fédéral ne permettait une vérification directe de la citoyenneté des électeurs. Les responsables locaux devaient s’appuyer sur des documents comme les certificats de naissance ou passeports, ou sur des bases de données fragmentées, rendant la tâche complexe et parfois injuste pour des millions de citoyens. Désormais, grâce à une intégration des bases de données de l’administration de la sécurité sociale et du service d’immigration, le DHS, en partenariat avec l’équipe présidentielle sur l’efficacité gouvernementale, a mis en place un outil permettant une vérification instantanée via un simple numéro de sécurité sociale.
Le système repose sur une version élargie de l’outil SAVE (Systematic Alien Verification for Entitlements), historiquement utilisé pour vérifier le statut migratoire des non-citoyens. Pour la première fois, il est capable de vérifier également les citoyens américains nés aux États-Unis, à condition qu’ils disposent d’un numéro de sécurité sociale valide. Cette évolution majeure transforme SAVE en une plateforme de vérification de masse de la citoyenneté, avec la capacité théorique de balayer des millions d’enregistrements électoraux.
Mais cette transformation s’est opérée sans consultation publique, sans avis officiel publié au registre fédéral, et en dehors du cadre légal prévu par la loi sur la protection de la vie privée de 1974. Aucune transparence, aucune opportunité de débat ou de commentaires publics. Ce manque de transparence alarme de nombreux juristes et spécialistes en cybersécurité, qui dénoncent une initiative mise en place sans garde-fous. Des organisations comme l’Electronic Privacy Information Center ou des experts de l’Université de Virginie expriment de fortes inquiétudes quant à la légalité et l’éthique de la démarche.
Selon des informations obtenues par NPR, plus de 9 millions d’électeurs auraient déjà été passés au crible de ce nouveau système, avec un taux de confirmation de citoyenneté de 99,99 % annoncé par les autorités. Ce chiffre, non vérifié indépendamment, vise à rassurer, mais ne suffit pas à dissiper les craintes. Les erreurs de correspondance, la mauvaise qualité des données ou les retards d’enregistrement des naturalisations peuvent conduire à des radiations injustifiées de citoyens parfaitement éligibles.
Ce système soulève également la question de la conservation des données. Le DHS conserve les enregistrements des requêtes SAVE pendant dix ans. On ignore si les fichiers électoraux fournis par les États seront utilisés à d’autres fins, comme des enquêtes criminelles ou des poursuites en immigration. Ce flou renforce les soupçons autour d’un outil potentiellement utilisé pour des représailles politiques ou des campagnes de répression ciblée, notamment contre les communautés immigrées.
Certaines personnalités, même parmi les partisans de la mesure, s’inquiètent de l’ampleur du projet. Kim Wyman, ancienne secrétaire d’État républicaine de Washington et experte en sécurité électorale, s’interroge sur la précision des données et les risques d’erreur. D’autres pointent du doigt le manque d’information partagée avec les responsables électoraux. Beaucoup d’États ignorent encore l’existence de cette capacité élargie du système SAVE, et certains redoutent les conséquences d’une utilisation mal encadrée.
En parallèle, le DHS a pourtant choisi de partager les détails techniques du projet avec des groupes militant contre les résultats de l’élection de 2020, comme l’Election Integrity Network, dirigé par l’avocate conservatrice Cleta Mitchell. Cette divulgation ciblée renforce les critiques accusant l’administration de manipuler les institutions à des fins politiques. Des experts comme Justin Levitt, ancien conseiller de la Maison-Blanche, estiment que le public américain mérite un débat ouvert sur un sujet aussi sensible.
Enfin, des questions persistent sur la fiabilité des données de la sécurité sociale, notamment pour les citoyens nés avant que l’agence ne commence à enregistrer systématiquement la citoyenneté dans ses fichiers. De nombreux électeurs pourraient donc être mal identifiés ou signalés à tort comme non-citoyens. Même parmi les défenseurs du projet, la prudence est de mise : l’objectif est louable, mais les risques d’erreur et d’abus sont réels.
Cette initiative pourrait transformer en profondeur le paysage électoral américain, en introduisant de nouveaux standards de vérification. Mais elle marque aussi une étape inquiétante dans la centralisation des données personnelles des citoyens, dans un climat de méfiance croissante et de polarisation politique extrême. Alors que les États-Unis s’apprêtent à vivre une nouvelle élection présidentielle décisive, le débat sur la protection des droits électoraux, la vie privée et l’usage des technologies par l’État n’a jamais été aussi crucial.
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